JAN LAVEZZARI, RETOUR À BERCK 🗓 🗺
BERCK SUR MER 62
Après la venue d’Édouard Manet en 1873, la plage de Berck et la baie d’Authie deviennent pendant une quarantaine d’année un haut lieu de la peinture de plein air. Comme Eugène Boudin qui y effectue plusieurs séjours, artistes français et étrangers sont attirés par la qualité d’un site habité par la centaine de bateaux de la première marine d’échouage de France.
L’arrivée et l’installation sur place, en 1877, du comte Ludovic-Napoléon Lepic marque le début de ce qu’il est convenu d’appeler “l’école de Berck”. Après avoir participé aux deux premières expositions impressionnistes, l’ami de Degas prend ses distances avec ses anciens condisciples de l’atelier Gleyre et un certain recul par rapport à la vie parisienne dont il est une figure notoire. C’est autour de lui que se constitue le petit noyau des artistes qui vont animer la vie artistique locale jusqu’à la première guerre mondiale et, pour certains, jusqu’au milieu du vingtième siècle.
Vue aérienne de l’Entonnoir,
vers 1900
Le comte Lepic séjourne dans un chalet de l’Entonnoir, le centre névralgique des nouveaux quartiers qui émergent des sables. Parmi ses voisins se trouvent le président du tribunal d’Amiens dont le fils, Francis Tattegrain, concilie études de droit et peinture, et l’architecte et peintre Émile Lavezzari. Proche de la famille impériale, pour laquelle il transforme l’hôpital maritime qui ouvre la voie au développement de la station médicale, Émile Lavezzari est le premier peintre qu’une photographie nous montre “sur le motif” à Berck. Lepic dédicace une toile à la soeur ainée de Jan Lavezzari, le cadet des quatre enfants de l’architecte dont, en 1885, Francis Tattegrain réalise le portrait qu’il dédie “Au Papa de c’t’infant”.
L’enracinement de la pratique artistique est donc ici le fait d’un petit groupe appartenant à l’élite ayant survécu à la chute de l’empire. Jan Lavezzari en sera l’ultime représentant.
Émile Lavezzari sur le motif,
vers 1870
Francis Tattegrain,
portrait de Jan Lavezzari, 1885
Jan Lavezzari, Baie de Canche, retour de pêche
Le plus berckois d’entre tous
Jan Lavezzari, Ningles, tempête
De tous les peintres “berckois”, quoique né à Paris, Jan Lavezzari est le seul à pouvoir associer à Berck des souvenirs d’enfance du fait de l’importance du lieu dans la carrière professionnelle de son père. Si le souvenir de l’architecte reste plus particulièrement associé au grand hôpital de l’Assistance Publique de Paris, il est également connu pour la mise au point d’une technique de construction adaptée aux dunes littorales et réalise d’importants chantiers pour la famille Rothschild.
Peu enthousiasmé par les études à l’École Centrale qu’il abandonne au bout de deux ans (1899), son fils Jan décide de se consacrer à la peinture et revient se mettre à Berck dans le sillage de Francis Tattegrain. Il y trouve un terrain propice à son goût de l’innovation et s’envole du haut des dunes le 15 février 1904 avec l’Archdéacon, préfiguration du deltaplane.
Il se construira aussi l’un des premiers aéroplages, ancêtres de nos actuels chars-à-voile.
S’il réalise quelques voyages et ramène des paysages de Corse ou du Val d’Aoste, la presque totalité de son oeuvre concerne le littoral du Boulonnais à la baie de Somme et les vals de Canche et d’Authie. Surtout, il affiche un attachement indéfectible au “Berck authentique” et à sa marine.
Jan Lavezzari, Feux de la Saint Jean,
église de Verton
Le dernier peintre embarqué
Lepic ne s’était pas contenté de promouvoir le principe du travail en plein air, sur le motif. Son goût de la mer et sa quête de vérité en avaient fait un véritable marin, pas un quelconque plaisancier : le “Patron” naviguait à bord de son propre flobart et aucune manoeuvre de pêche ne lui était inconnue. Après son ami et élève Francis Tattegrain, Jan Lavezzari conserve du grand large cette familiarité qui les distinguent des autres peintres du cru. “Monsieur Jan” partage la vie des pêcheurs de Berck et en tire une pertinence exceptionnelle dans l’observation des allures en mer. Perpétuant le rapport paradoxal unissant ces artistes issus de la bonne bourgeoisie aux travailleurs de la mer, dans un contexte où les progrès foudroyants de l’économie balnéaire et hospitalière excluent la marine d’échouage d’une modernité qui s’impose brutalement, Lavezzari devient le chantre nostalgique d’une authenticité en voie d’effacement.
Jan Lavezzari, La remontée des cordes
Jan Lavezzari, Intérieur au seillage
Du refuge de la baie à l’évocation du “Vieux Berck”
Deux caloges
À Berck, Jan Lavezzari préfère les paysages de la baie d’Authie et de la frange de garennes où son maître Tattegrain avait déjà fait retraite, loin de l’agitation de la plage et de sa frénésie immobilière. Il leur trouve un écho en baies de Canche et de Somme où aussi seuls les bateaux et les marins ont une présence à ses yeux légitime. La subtilité du rendu de ses éclairages et des nuances de coloris des mollières où la végétation se joue des fantaisies de l’eau en font une référence dans ce domaine. Ce retour, ou plutôt cette fidélité au “Berck saharien” de l’époque héroïque du Patron Lepic, s’accompagne de la volonté d’en préserver la mémoire.
En utilisant les carnets de dessins et les photographies prises par son père, avant sa naissance, Jan Lavezzari magnifie le souvenir du Berck dénaturé par l’afflux de “chés périsiens”. Cette démarche trouve dans le décor de l’hôtel de ville, achevé en 1909, son expression la plus accomplie. Cet ensemble de toiles marouflées – le seul non dispersé et conservé en place dans la région – donne un aperçu de ce que pouvaient être les grandes compositions qui ont autrefois agrémenté nombre d’établissements aujourd’hui dépouillés ou disparus à Berck (Cottage des Dunes, hôtel Continental), à Étaples (hôtel de la Gare) et au Touquet (Casino de la Forêt, Café de Paris).
L’héritage d’un attachement viscéral
L’attachement quasi exclusif de Lavezzari à la Côte d’Opale, sa fidélité à un mode figuratif devenu anachronique au regard de l’obsession contemporaine de la promotion des “pratiques innovantes” ont contribué à l’oubli d’une oeuvre cataloguée d’intérêt régional. Peut-être paradoxalement cela a-t-il été un frein à sa dispersion.
À Berck, Lavezzari dont l’atelier (clichés ci-dessus) était un appendice de la maison (à moins que ce n’ait été l’inverse) avait préservé jusqu’à sa mort un biotope où la surface des murs suffisait juste à l’accrochage des oeuvres. Ce conservatoire de sa peinture fut perpétué par sa veuve Germaine Lavezzari avec une densité équivalente dans sa maison du val de Canche. Le don effectué aujourd’hui par Jacqueline Deslandres, vient abonder le legs testamentaire établi par Germaine Lavezzari en 1994 et porte à 71 le nombre des oeuvres issues de la collection personnelle du peintre conservées au musée de Berck et qui seront présentées lors de l’exposition.
Jan Lavezzari, Retour de pêche
Jan Lavezzari,
Maison dans la neige à Merlimont
Musée d’Opale-Sud
60 rue de l’Impératrice
> Du 31 mars au 29 Mai 2017.
Infos : 03 21 84 07 80