La mémoire de l’eau… et Peintures de Victoria Kloek 🗓 🗺
BERCK SUR MER 62
La mémoire de l’eau… d’Arche en Authie, variations du trait de côte à Berck
Et Peintures de Victoria Kloek.
Effectivement, l’eau a de la mémoire et une aptitude certaine à retrouver les lieux qui lui étaient dévolus.
Elle est toujours là, en sature le sol d’autant plus que son ancienne aire d’épandage n’a cessée d’être réduite et que l’enjeu de la gestion d’une évacuation, détournée de ses voies naturelles, s’est peu à peu estompé. Douce ou salée, elle aspire à reprendre un territoire dont la topographie propice semble lui promettre l’accès.
La pertinence de certains choix a, très vite mais… trop tard, été remise en question. La simple analyse des cartes connues, au moment de la transformation de l’hôpital maritime (1869), aurait dû éviter d’élire, pour son implantation, l’endroit le plus menacé par l’érosion!
On ne peut s’empêcher de penser que l’installation, au début du XXIe siècle, d’une caserne de pompiers en plein milieu de l’ancien estuaire de l’Arche, est une option qui, un jour prochain, pourrait s’avérer assez peu confortable…
Depuis plus d’un siècle, l’homme se refuse à prendre les précautions élémentaires que l’histoire et le bon sens lui dictent. Est-ce l’illusion d’une évolution linéaire qui nous a anesthésiée, le penchant à cantonner aux perspectives lointaines – à ce que “de toute façon, on ne verra pas de son vivant” – les évènements dérangeants des cycles dont notre activité précipite la succession ?
Mémoire des pierres avec les cicatrices de l’église de Groffliers…
De son ravage, en 1743, aux incursions par Terminus jusqu’aux abords de Saint-Jean-Baptiste dans les années 1820, la mer a pourtant laissé plus d’une carte de visite. En sus de la propension à dénier à la nature d’élémentaires prérogatives s’ajoutent la primauté souvent consentie au particulier sur le général et l’incapacité de conjuguer les efforts à l’échelle appropriée.
Dès 1903, le peintre Francis Tattegrain alertait sur les conséquences, pour le rivage de Groffliers et de Berck, des travaux entrepris sur Fort Mahon, interpelant les décideurs sur l’indispensable concertation de leurs politiques d’aménagement.
Dans les années 1920, c’est une polémique incessante sur les travaux à entreprendre (à cause de qui, par qui, pour qui, aux frais de qui ?), avec, en guise d’épouvantails, les spectres du Grand Hôtel et des villas de Saint-Gabriel, en nord de baie de Canche, détruits par la mer en 1912.
Bien modeste par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui, l’urbanisation de l’époque veut d’abord ignorer des contraintes qui peuvent assez vite s’avérer rédhibitoires.
Inauguré le 11 août 1909, le chemin de fer qui devait relier Berck-Plage au Touquet en longeant le bord de mer par Merlimont fut définitivement abandonné sous les assauts répétés du sable, le 14 mai 1928.
Ceux de la mer ont effacé les traces des rares villas du quartier avorté de “Bellevue-Plage”, audacieusement implanté là où le flot retrouvait l’ancienne berge nord de l’embouchure de l’Arche pour se frayer un passage vers Saint-Jean-Baptiste. La deuxième moitié du XXe siècle verra les blockhaus de la dernière guerre subir, l’un après l’autre, un sort identique.
Alors, faut-il des catastrophes pour que revienne la mémoire de l’eau ?
En équilibre incertain entre ciel, mer et fleuve, la Zélande garde à vif le souvenir des submersions qui jalonnent son histoire. Victoria Kloek a emmené, de Zierikzee à Fressin, la conscience de la menace lovée entre les paisibles harmonies qui rythment à l’horizontale ses grands panneaux verticaux.
Dans sa peinture règne l’implacable immobilité d’une mer muette, habitée par l’absence ou, plutôt, hantée par des présences englouties. C’est celle de Reimerswael, effacée avec 100 000 de ses habitants en une seule marée par un mauvais samedi (“De Quade Saterdach “) de l’année 1530. La superposition des eaux limoneuses étouffe jusqu’à l’espoir d’un son. Dans le silence, les ombres dérivent à l’emplacement de son île de Schouwen-Duiveland, submergée en 1953.
Si l’histoire est réputée pour ne pas repasser les plats, elle n’en secoue pas moins régulièrement la nappe…
Mémoire de l’eau : une partie de l’accrochage
Parmi les documents utilisés, quelques “bijoux” inédits, comme cet étonnante vue cavalière du havre de Berck dont sont présentés ici deux détails.
Communiqué par le musée Rodière de Montreuil, ce plan qui doit dater du début du XVIIIe siècle a été annoté après 1766. Trop fragile pour être exposé, l’original a été reproduit agrandi pour le confort de lecture des visiteurs.
En écho à la présence de Victoria Kloek, la mention de la présence d’une épave de vaisseau hollandais en baie d’Authie, devant la pointe de Groffliers.
Sous le jeu des reflets et de la transparence, les eaux de la mer du nord dissimulent les fantômes du passé. La sédimentation du temps les cache sous un voile à la fois épais et fragile que la marée anime. Le rapport à cette mer qui donne et qui reprend, qui séduit et qui détruit, est omniprésent dans les acryliques de Victoria Kloek avec, lorsque le regard s’attarde et se noie, le curieux passage d’un sentiment de paisible sérénité à la sensation d’un malaise diffus, d’un certain vertige. L’homme libre de Victor Hugo qui toujours chérira la mer ne peut prétendre la priver de cette même liberté, si ce n’est au risque de se perdre.
L’emblématique “Ville disparue de Reimerswael” (lettre 24) restera définitivement au musée d’Opale-Sud, geste auquel nous sommes d’autant plus sensibles que nous mesurons pleinement la signification particulière, viscérale, de cette oeuvre pour l’artiste.
Dans la niche centrale, “La ville disparue de Reimerswael” (Victoria Kloek, 2015)
Une exposition proposée par le service des archives municipales de Berck-sur-Mer et par le musée d’Opale-Sud.
Musée d’Opale Sud > jusqu’au 30 mai.
60 Rue de l’Impératrice.
Infos : 03 21 84 07 80